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La Shoah dans les manuels (1962-76)

La persécution et l'extermination des Juifs d'Europe dans les manuels scolaires de la période 1962-1976. Une étude des manuels de terminale de Bordas, Delagrave, Hatier, Bathan sur la manière dont est abordé ou escamoté le thème de la Shoah dans une période marquée par le mythe résistancialiste issu de la fin de la guerre. Par Amélie Blaustein


Le système éducatif français connaît d’importantes transformations dans les années 1950. Il doit faire face à une croissance démographique additionnée d’une demande sociale d’éducation qui modifient du tout au tout son public. Le secondaire jusqu’alors réservé à une frange étroite de jeunes en accueille depuis des millions.

En 1959, un nouveau programme marque des changements considérables par rapport aux précédents. La nouveauté est d'inscrire l'étude des civilisations au sein de l'enseignement de l'histoire. Cette entrée en scène traduit les revendications des historiens dont le chef de file est Fernand Braudel. Il décrit cette décision ministérielle comme révolutionnaire Il s’agit de passer de l’histoire récitative à une histoire qui se veut explicative et qui emprunte des méthodes aux autres sciences humaines. Le programme stipule que la civilisation doit être envisagée sous toutes ses formes. Le programme devait permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les racines des problèmes du temps présent.

Ce programme est donc au cœur des problèmes internationaux au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et au cœur de la Guerre Froide.

À partir de la rentrée 1962 et jusqu'à la reforme Haby de 1976, à raison de deux heures par semaine, ce programme entre en vigueur dans les cours d'histoire des classes de terminales.

Ce programme cherche à faire comprendre aux élèves le monde qui les entoure. La question de la place du génocide des juifs et la question de l'implication de l'Etat Français dans cette extermination est l'un des sujets les moins assumés dans la France des années soixante qui cultive le mythe du resistancialisme. La seconde guerre mondiale est au programme, mais ni le régime de Vichy, ni le système concentrationnaire nazi ne le sont.  Comment ces sujets sont-ils traduits par les manuels scolaires?

  

Cette étude porte sur quatre manuels de terminale de l'année 1962: Bordas, Delagrave, Hatier, Nathan.  Nous étudierons la place de trois thèmes dans les manuels. En premier lieu l'Allemagne entre les deux guerres, puis l'Etat français et enfin le génocide des juifs.


L'Allemagne entre les deux guerres


Les démocraties entre les deux guerres sont au programme ce qui permet d'aborder la montée du nazisme.

Le manuel Bordas dans son huitième chapitre aborde, "Les démocraties européennes après la guerre". Au cours de ce chapitre de huit pages est exposée page 86 "L'agitation politique au lendemain de la première guerre mondiale," les auteurs mentionnent l'antisémitisme, "des sentiments antisémites se répandirent : le général Ludendorff dirigeait une revue où l'on dénonçait dans les juifs et les marxistes les vrais responsables de la défaite.".

Un peu plus loin sur la même page un paragraphe est consacré aux assassinats politiques, "les victimes les plus marquantes furent le ministre Erzberger, du Centre catholique, qui avait conseillé l'acceptation du traité de Versailles (1921), et un grand industriel d'origine israélite, Rathenau, ministre des Affaires étrangères qui préconisait la bonne volonté allemande dans les règlement des réparations (1922)".

Le manuel Hatier passe plus vite sur la place de l'antisémitisme dans l'Allemagne entre les deux guerres. Le troisième chapitre du livre porte sur "l'histoire intérieure des grandes puissances". L'Allemagne est le sujet de deux pages sur les dix sept que compte le chapitre. Il est fait mention des assassinats politiques "Des jeunes gens irrités par la défaite, des anciens membres des corps francs réunis en sociétés secrètes commettent 376 crimes politiques de 1919 à 1922. Erzberger, qui a signé l'armistice, l'industriel israélite Rathenau, qui voulait nouer des rapports économiques avec les vainqueurs, sont parmi les victimes.".

Delagrave rassemble tous les éléments sur l'Allemagne entre les deux guerres dans une partie, la huitième, page 95, "L'Allemagne de 1918 à 1933, naissance, vie et mort de la République de Weimar". Là encore le meurtre du "financier juif Rathenau" est cité, mais alors que le manuel insiste sur la montée de l'extrême droite, il n'en dit pas plus sur l'antisémitisme.

Le manuel Nathan traite cette question dans la partie sur l'Allemagne entre les deux guerres mais dans une partie consacrée à Hitler.

Le portrait d'Hitler revient dans tous les manuels qui exposent brièvement les vingt premières années de sa vie.

La mort de ses parents, ses aspirations à devenir peintre et ses années de mendiant à Vienne, montrent un individu "bizarre, anormal" nous dit Nathan, page 117. Delagrave, page 133 insiste sur la notion de folie, "une des plus récentes [ hypothèse] affirme que le Führer était atteint de la maladie de basedow", "ce déséquilibre psychique aurait exercé une profonde influence sur son comportement et son intelligence".

Hatier le décrit comme "instable, avec des crises de frénésie, puis de prosternations"

Pour Bordas au contraire, ce n'est pas la folie d'Hitler qui est responsable de l'élaboration de sa doctrine, mais, son manque d'éducation, page 87, "Autodidacte, il assimila mal ses nombreuses lectures ; il se prit de haine pour les juifs et les marxistes"

    Tous les manuels disent clairement que l'antisémitisme est au cœur de la doctrine nazie, Bordas, lors d'un paragraphe sur "l'élimination des adversaires" explique "l'antisémitisme officiel" qui "apparut dès 1933". La politique d'exclusion est détaillée. Il en de même pour tous les autres manuels.

Cependant, un fait ressort très vite de la lecture des chapitres sur l'Allemagne nazie pour les manuels Bordas : les victimes ne sont pas différenciées. Nous venons de le voir pour Bordas, le paragraphe sur l'antisémitisme ne se nomme pas "antisémitisme". Ce manuel présente une double page de documents, deux sur les cinq nous intéressent, un autodafé et des inscriptions sur un magasin juif à Berlin mais ces deux photos sont regroupées sous le vocable '"racisme et intolérance", de plus s'ajoute à ces deux photos une troisième , "un des premiers camps de travail forcé où étaient envoyé les adversaires du régime". Il s'agit d'une photographie de Dachau, les dépotés sont alignés devant un mur, il s'agit d'une scène d'appel.

L'image de l'autodafé, porte la légende : "autodafé de livres allemands", la spécificité antisémite de cet acte n'est pas dit, pourtant, la destruction des livres est un chaînon essentiel pour comprendre la volonté nazie d'exterminer les hommes mais aussi leurs traces.

Delagrave au contraire sépare le racisme de l'antisémitisme. Les deux paragraphes se suivent page 134. Ce paragraphe est l'occasion pour l'auteur de mentionner l'histoire de l'antisémitisme

"L'antisémitisme n'est pas une attitude propre au nazisme; c'est un vieux courant qui se manifesta à toutes les époques de notre ère dans la chrétienté médiévale comme dans la Russie des tsars, dans les pays musulmans comme dans la France de l'affaire Dreyfus. Mais il appartenait au nazisme de le pratiquer avec la cruauté la plus horrible. Pour Hitler, les juifs"ennemis du genre humain, corrupteurs du goût et des mœurs, bacilles dissolvants de l'humanité", poursuivent un vaste complot qui vise à la domination du monde"[…]

Chez Nathan, le sort des juifs est mis à part. Trois documents sont présentés sous le titre "la persécution des nazis contre les juifs : la même photographie de l'autodafé que celle choisie par Bordas et deux extraits du livre d'Alfred Grosser, Hitler, la presse et la naissance d'une dictature.

La légende de la photographie stipule bien qu'il s'agit d'un acte antisémite, "une cérémonie nazie, "autodafé" de livres démocratiques et juifs dans une atmosphère de haine collective". Les deux documents extrait du livre d'Alfred Grosser sont deux articles de presse, le premier est signé Pertinax dans l'écho de paris du 29 mars 1933 et le second H. Zehrer dans Tägliche Rundschau" du 2 avril 1933.

Le premier dénonce les actes antisémites en Allemagne : "À Worms, trois juifs sont contraints de s'administrer mutuellement à la bastonnade. L'instrument de torture le plus souvent employé est la Stahlrute, lame d'acier flexible gainée de cuir. Le 15 mars encore, des attentats de cet ordre se poursuivaient à Berlin."

L'autre article montre le point de vu nazie : "l'explication avec l'étranger n'a commencé que quand l'internationale dorée, celle des juifs, de l'argent et du commerce, est entrée en action"

Le manuel ne pose pas de questions à l'élève sur ces documents, on ne peut donc pas savoir comment les auteurs du manuel voulaient les commenter. Cependant nous pouvons noter que l'article anti-nazi est choisi dans un journal français ce qui contribue à l'image d'une résistance française unanime.


Une France résistante


Les allusions à la participation française à la déportation et à l'extermination des juifs se trouvent dans l'étude de "la seconde guerre mondiale et de ses conséquences.". Cette étude est la dernière du premier trimestre qui comprend aussi l'étude de la première guerre mondiale. Or, la France n'est pas au programme. Une question se pose alors : les manuels doivent-t-ils coller au programme en ne mentionnant pas le régime de Vichy ou bien créer ou peut être trahir en mentionnant cette période?

Les manuels sont partagés sur cette question. Les éditions Nathan ne mentionnent pas les persécutions antisémites du gouvernement français, au contraire, les éditions Hatier, Bordas et Delagrave en parlent.

Cependant, les lois anti-juives ne sont mentionnées que par allusions. Hatier, page 197, "les Juifs sont recensés, et, plus tard exclus des fonctions publiques".

Bordas, page 220, consacre un paragraphe à la France intitulé "un exemple: la France de 1940 à 1944" . Le choix de cet exemple montre "les équivoques et les déchirements d'un pays soumis à la pression allemande", l'exclusion des juifs de la société est résumée en une ligne : « Francs-maçons et israélites, d’abords recensés se virent bientôt exclus des fonctions publiques "

Les éditions Delagrave nous apprennent que : « […] de nombreuses mesures prises par le gouvernement de Vichy. Poursuites exercées contre les dirigeants communistes, les francs-maçons et les juifs » ces éditions ajoutent que « cette politique d’entente avec l’Allemagne fut peut être d’avantage une concession au plus fort qu’un collaboration sincère ».

Pour ce qui est du triptyque : « arrestations-deportations-exterminations », le manuel des éditions Nathan continue à être muet.

Hatier «  les autorités nazies se livrèrent en zone occupée à des arrestations massives de juifs : 4000 enfants de 2 à 12 ans arrivent en 15 jours à Drancy ». Bordas, "pour répondre aux exigences allemandes en main d'œuvre, il fallut instaurer le "service militaire obligatoire" et envoyer des travailleurs en Allemagne  ; des milliers de Juifs de la zone occupée furent déportés sans que le gouvernement protestât" p 221.

Pour ce manuel, l'expression "sans que le gouvernement protestât" est déjà un aveu de collaboration, contrairement à Hatier "les autorités nazies se livrèrent à des arrestations". Les auteurs restent plus flous sur les protagonistes ce qui laisse entende que les autorités nazies n'étaient pas les seuls responsables.

Le personnage de Pétain, lui, subit un sort différent suivant les manuels qui le font apparaître parfois comme un outil allemand, un résistant ou encore un traître.

Le terme "jouet" est employé par Hatier pour caractériser ses relations avec son entourage : "incapable de dominer son entourage, il en sera le jouet ". Pour Delagrave, page 200 : "Bien des gestes de l'ancien vainqueur de Verdun , l'appui donné à l'Eglise catholique, les disputes avec le chef de gouvernement Pierre Laval , longtemps remplacé par Darlan, les relations très amicales entretenues avec les Etats-Unis , semblent prouver que cette politique d'entente avec l'Allemagne fut peut être davantage une concession au plus fort qu'une collaboration sincère".

Bordas, page 221, "La plus part des français pensaient que le "Maréchal " – "vainqueur de Verdun" – saurait tenir tête aux Allemands, beaucoup croyaient qu'il était en accord avec De Gaulle et les Anglais, et menait un double jeu ". C'est avant tout sur cette équivoque que reposait le sort du "régime de Vichy"

Dans ce cas, les manuels ne sont pas dirigés sur le contenu concernant la France, il s'agit donc de la volonté de l'auteur d'en parler et l'on voit bien qu'ils transmettent l'état de la recherche sur cette question à ce moment et la ligne de l'Etat qui donne l'image d'une France résistante. "La France , à peu prés unanime , glissait du côté de la résistance", Cette phrase de Bordas page 221 résume l'idée développe par tous les autres manuels. Les manuels Hatier, Bordas, Delagrave consacrent une page à la résistance française et  Nathan qui ne s'est pas intéressé à la France aborde la question de la résistance du point de vu international.

Tout se passe comme si les initiatives métropolitaines n’existaient pas et la spécificité de l’antisémitisme français est passée sous silence.

Le fait que les manuels mettent en première ligne la résistance pourrait laisser penser que la résistance juive serait abordée, cela est le cas chez Nathan, dans une sous partie ("le recrutement de la résistance intérieure"), de la troisième partie, "la résistance" dans le chapitre sur la seconde guerre mondiale, lequel expose le cas de résistants qui ne se  sont pas engagés de façon volontaire mais parce qu'ils se retrouvaient hors la loi ("les juifs étaient acculés à la résistance désespérée")..Pourtant les juifs ont participé aux différents mouvements de résistance de toutes obédiences, on peut donner l’exemple de la commission intersyndicale juive qui disposait de soixante-dix groupes, et qui fut particulièrement active pour la confection de faux papiers, la fabrication d’armes.

    Tous les manuels consultés font des allusions à la doctrine nazie et aux persécutions, mais l’étude de l’extermination des juifs est le théâtre d’amalgames, les manuels de 1962  se caractérisent par le triomphe du vague.


Le génocide des juifs


Les éditions Bordas font un effort de pédagogie en présentant un dossier de photographies où l’on voit des déportés, mais il n’y a pas d’explication sur le fonctionnement du camp.

De plus, à l’occasion du chapitre sur la seconde Guerre Mondiale, le manuel nous présente un paragraphe : « la terreur nazie : racisme et intolérance » mais le contenu est décevant : « Les camps servirent aussi à de véritables génocides : des convois entiers de Juifs, polonais, de prisonniers et de civils russes étaient envoyés dans les chambres à gaz ».

Le terme génocide est néanmoins défini: "mot forgé après la guerre pour désigner la destruction systématique d'une race ou d'un peuple par un autre"

Cependant, ce paragraphe a au moins le mérite d’exister,

On peut noter que les éditions Delagrave, et Bordas présentent des recueils de textes. Ces documents sont placés dans les dernières pages du manuel. Il s’agit de « suppléments pédagogiques » on y trouve des extraits du procès de Nuremberg et des récits de déportés.

Nathan aborde l'extermination à quatre moments, tout d'abord, chapitre quinze,"La phase mondiale de la guerre jusqu'en 1945", page 218, "les juifs", ce paragraphe de dix lignes constitue le cours sur le génocide, "l'implacable et horrible logique du système raciste hitlérien n'aboutit pas seulement à vouloir réduire les Slaves en esclavage; elle veut l'élimination des juifs, corrupteurs de la race supérieure. D'où la plus épouvantable extermination de l'histoire. Parqués dans "des ghettos"où régnait la famine et où tout incident était prétexte à des massacres, les juifs furent ensuite exterminés systématiquement. On les envoyait par trains entiers dans certains camps de concentration où, chaque jour, des milliers d'entre eux, hommes, femmes, enfants, passaient dans les chambres à gaz. De grands fours crématoires brûlaient leurs cadavres. On estime à 4 millions au moins le nombre de victimes de la pseudo théorie raciste d'Hitler"  En second lieu, l’extermoination se trouve abordée dans un paragraphe qui se trouve à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale, dans la seconde partie"les résistances". Une  sous partie, à laquelle nous faisions allusion plus haut, est "le recrutement de la résistance", "l'épisode le plus atroce fut celui des ghettos où avaient été parqués, dans la promiscuité et la famine, plusieurs centaines de milliers de juifs. En 1943 eurent lieu les insurrections des ghettos de Varsovie et de Bialystok, réprimées par des massacres systématiques.

Tout de suite après ce paragraphe, le manuel rentre dans la dernière partie de son étude de la seconde guerre mondiale : "le bilan de la guerre", dans le "bilan physique", "l'extermination de 4 millions de juifs dans les camps de concentration nazie , la famine, les bombardements aériens ont en fait une guerre encore plus inhumaine". Dans le bilan moral se trouve une autre allusion, mais qui ne mentionne pas la dimension juive du génocide, "jamais on avait assisté à l'extermination systématique de millions de personnes au nom d'une doctrine pseudo scientifique du racisme. Les camps d'extermination nazis, avec leurs chambres à gaz et leurs fours crématoires, l'utilisation massive de la torture par la Gestapo resteront longtemps le symbole de la dégradation de la conscience."

Nathan présente une carte des "camps de concentrations nazis" qui différencie "les camps importants" et "les camps très importants". La carte ne montre que l'Allemagne et le Gouvernement Général, elle ne mentionne pas les camps français. Ainsi, Birkenau est un camp très important, au même titre qu'Auschwitz et Braunschweig.

Au dessous, une photographie de "l'hôpital"au camp de Buchenwald" montre des hommes allongés dans leur baraque. L'un est debout. L'image montre bien le sordide du nom "hôpital" mais n'illustre pas la spécificité juive du génocide.

Delagrave mentionne "l'horreur" dans le bilan de la guerre, page 217, mais les victimes ne sont pas différenciées, ni les types de camps, "plus de 9 millions de personnes périrent dans les sinistres baraquements de Buchenwald, Dora, Auschwitz, Ravensbrück, Treblinka, Mauthausen […] c'est dans ces camps que fut poursuivie la liquidation systématique des "races inférieures " juifs, bohémiens  et Slaves. Plus de six millions de juifs européens furent massacrés, sur 90000 juifs hollandais déportés, 600 revirent vivants, sur 110000 juifs français, 2800.

La place de Vichy est donc liée à la volonté de l'Etat de ne pas en parler. De Gaule a rétabli la république et a rangé la France dans le camp des vainqueurs. Admettre que "l'Occupation " était une collaboration, c'est en 1962 remettre en cause la place de la France en Europe et dans le monde, puisque la France siège au conseil de sécurité de  l'ONU.

Henri Rousso signale qu'en ce qui le concerne, le fait de s'intéresser à Vichy relevait tout d'abord de trouver un sujet vierge en 1970 . La période 1945- 1960 est marquée par la mise en place du mythe résistancialiste. De Gaule lors de son discours à Vichy affirme l'unité de la France, "Nous sommes un seul peuple, c'est à Vichy que j'ai tenu à vous le dire". Le procès Eichmann n'a pas eu lieu. Depuis le 11 avril 1959, le 8 mai n'est plus férié. Les manuels traduisent donc bien cette volonté d'unité de la nation contre l'ennemi héréditaire.

Il faut ajouter que les années 1954-1974 sont celle du « refoulement » , c’est à dire que la France vit dans le mythe résistancialiste. On peut citer un exemple, en 1956, le film Nuit et Brouillard d’Alain Renais, qui est censuré. En effet, on aperçoit un képi de gendarme lors d’une scène au camp de Pithiviers.

Cela est lié à une méconnaissance du sujet. En effet, il faut noter que les premières recherches sur la Shoah paraissent tard, la première synthèse universitaire sur la déportation date de 1968 : Olga WORSMER-MIGOT, Le système concentrationnaire nazi, 1933-1945, PUF, 1968 et si la thèse de Raoul Hilbert est publiée en 1961 aux Etats-Unis, elle ne sera traduite en français qu'en 1982.

C'est pourquoi les manuels n’appuient que sur l’antisémitisme côté Allemand et les éléments sur le génocide juif ne dépassent pas dix lignes. Cependant le fait que le manuel Delagrave parle de six millions de juifs que celui des éditions Nathan (parqués dans "des ghettos"où régnait la famine et où tout incident était prétexte à des massacres, les juifs furent ensuite exterminés systématiquement. On les envoyait par trains entiers dans certains camps de concentration où, chaque jour, des milliers d'entre eux, hommes, femmes, enfants, passaient dans les chambres à gaz. De grands fours crématoires brûlaient leurs cadavres. On estime à 4 millions au moins le nombre de victimes de la pseudo théorie raciste d'Hitler") montre que les connaissances sont floues mais pas inexistantes.

Les manuels ne donnent pas une autre image de la France que celle donnée officiellement : un pays occupé, un Etat exilé à Londres, une résistance forte et unie. Ce qui ressort c'est bien une volonté de ne pas mettre en concurrence les victimes. Alors, il n'y a pas de spécificité juive du génocide.

    Bien que ces manuels aient été plusieurs fois réédités jusqu'en 1977 ces points resteront inchangés. Pourtant, la recherche avance sur ces questions. Le livre de Robert Paxton, La France de Vichy, sort en 1973 . Mais il faut attendre 1983 pour voir inscrit au programme l'étude de la France de 1940 à 1944 et attendre 1985 pour que l'étude du génocide des juifs y figure.

L'évolution de la mémoire scolaire de Vichy est symptomatique des évolutions de la mémoire collective. On passe de l'image d'une France résistante à l'image d'un pays qui a collaboré et participé à l'extermination.

On croyait aujourd'hui cette histoire apaisée. Pourtant la mise en place de la mémoire comme objet d'histoire dans les classes de terminales, à l'occasion du chapitre "Bilan et mémoires de la seconde guerre mondiale", pose de nouvelles questions. Par exemple aucun manuel ne signale les relations entretenues par tous les présidents avec les anciens collaborateurs. Décidemment, la formule d'Henri Rousso est toujours d'actualité, "Vichy, un passé qui ne passe pas. ".

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