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Coloniser ou civiliser ?

Coloniser ou civiliser ? La République au risque de ses valeurs. Conférence INRP (Mardi 5 avril 2005) Avec Claude Liauzu (Paris VII), Gilles Manceron, Jean-Pierre Dozon




Comment enseigner la colonisation et les guerres de décolonisation aux élèves français du début du XXIème siècle? Peut-on proclamer que les droits de l’homme sont une valeur universelle, enseigner dans certains cours la conquête des droits politiques et sociaux par la démocratie en France aux XIX et XXèmes siècles et dans d’autres cours le refus d’accorder ces mêmes droits dans les colonies ? Enseigner cette trahison ne va-t-il pas conduire les élèves à douter des valeurs de la République et de celle des droits de l’homme que nous leur enseignons en éducation civique ?


Les guerres de décolonisation sont achevées depuis les années 60. Après le temps de l’amnistie, celui du « trou de mémoire », nous connaissons celui du « retour du refoulé » où des affaires médiatisées sont autant d’occasions d’affrontement de mémoires particulières. Le temps de l’histoire n’est-il pas enfin venu pour nous permettre de tenter d’échapper au piège des mémoires particulières, chacune refermée sur sa propre souffrance et sourde à celle des autres comme au piège d’une lecture idéologique de l’histoire où les camps des justes et des damnés se révèlent aisément ? Une relecture de l’histoire coloniale est indispensable pour nous permettre de prendre position comme enseignant et comme citoyen. Enseigner les guerres de décolonisation conduit à prendre conscience que la Quatrième et la Cinquième Républiques ont mené des guerres coloniales, avec le soutien des principaux partis politiques et de l’opinion publique. Il est donc impossible de les enseigner sans procéder à une relecture des liens de domination, de conflits et d’échanges qui se sont établis entre la France et ses colonies à travers le phénomène colonial dans son ensemble, de la première colonisation des XVI-XVII-XVIIIèmes siècles à celle des XIX et XXèmes siècles. D’autre part la compréhension de cette longue et complexe histoire nous amène à nous interroger sur le rapport aux autres civilisations qu’a établi l’Occident. Dès le XVIIIème siècle en effet les partisans de la colonisation ne lui trouvent pas seulement des justifications économiques ou stratégiques mais affirment que la supériorité des nations « civilisées » leur donne le droit de conquérir et de dominer des nations « sauvages », prétendant leur apporter la civilisation. D’autres au contraire rejettent l’idée même d’inégalité entre les races ou les civilisations, luttent contre l’esclavage et les discriminations mais défendent le projet utopique d’une République apportant à tous les bienfaits des droits de l’homme grâce à l’assimilation politique. Comment la République en est-elle venue à admettre la coexistence de deux droits, l’un s’appliquant sur le territoire national et l’autre dans les colonies ? Pendant des décennies la colonisation a été présentée par les autorités de l’Etat relayées par l’école comme une œuvre positive apportant les bienfaits de la civilisation aux peuples colonisés.

C’est bien la difficulté de ce qu’il nous faut essayer de comprendre. Il est en effet bien à craindre que ne se reproduise le même schéma entre l’invocation, voire l’injonction, à l’intégration des populations d’origine étrangère en France, et les blocages politiques et sociaux qui empêchent cette intégration, le fait même de qualifier d’étrangères les populations de l’ancien empire colonial montrant bien la faillite de l’assimilation politique.

Il nous faut bien enseigner le « paradoxe républicain » : invention des droits de l’homme d’une part, puis négation de ceux-ci dans le rapport avec les colonies , de même qu’il nous faut enseigner le « paradoxe européen » : affirmation de l’humanisme et sa négation dans la découverte et la conquête du reste du monde.

Il nous faut de toute urgence étudier de quelle façon nous avons été nous aussi colonisés plus que nous le pensions. Les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme, de la République sont-elles universelles ou doivent-elles être réservées à une élite de citoyens toujours définie de façon restrictive ? Quelles valeurs communes la République veut-elle partager avec les descendants de ses colonisés ? Quelle société construire sur les droits de l’homme toujours à défendre et à construire ? La relecture de l’histoire coloniale permettra-t-elle à la société française d’établir enfin des relations entre partenaires égaux avec les Etats ou populations des anciennes colonies ? Il est heureux que paraissent aujourd’hui des livres qui permettent une lecture renouvelée de l’histoire coloniale, qui nous amènent à prendre la mesure des injustices du passé afin d’éviter qu’elles ressurgissent insidieusement dans le présent.


Gilles Manceron, Marianne et les colonies, Editions La Découverte, Paris, 2003
Claude Liauzu, Les dossiers de la décolonisation, Editions Armand Colin, Paris, 2004
Jean-Pierre Dozons, Frères et sujets, Editions Flammarion
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