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Mémorial de la Shoah : accueil des publics

Un entretien avec les responsables pédagogiques chargés de l'accueil des publics scoalires au mémorial de la Shoah, à Paris.

Entretiens avec Claude Singer, responsable du secteur pédagogique du Mémorial de la Shoah

Et Jacques-Olivier David, coordinateur pédagogique au mémorial de la Shoah.

Mardi 20 juin 2006.



1/ Claude Singer et Jacques-Olivier David, quel est votre fonction et votre rôle au Mémorial de la Shoah ? Comment est constituée l’équipe qui s’occupe de pédagogie au Mémorial ?

Nous avons pour mission d’accueillir les groupes scolaires au Mémorial, de préparer avec les enseignants leur visite et de les accompagner dans celle-ci. Nos effectifs ont nettement augmenté ces derniers temps avec la demande, désormais très importante.
Voir : Site : www.memorialdelashoah.org (rubrique « pédagogie/formation »)


2/ Comment dire résumer la nature de la prestation offerte par le Mémorial aux groupes scolaires qui se déplacent chez vous ?

Il s’agit pour l’essentiel d’une présentation des lieux et d’une visite thématique, le tout en une heure et demie-deux heures.

3/ Comment se préparent ces visites ? Que dire des attentes des enseignants qui organisent ces activités pédagogiques, de leur demande, de vos propositions ?

La préparation en amont de ces visites est pour nous un moment important, qui est l’objet de tous nos soins. Nous prenons le temps d’écouter attentivement les explications des organisateurs-enseignants, le plus souvent au téléphone, étant donné le nombre de projets organisés depuis la banlieue ou la province.
Une première remarque serait qu’un certain nombre d’enseignants sont mûs par une interrogation personnelle, voire par une recherche précise concernant un membre de leur famille dont ils souhaitent retrouver la trace à partir de notre base de données par exemple. Le voyage pédagogique part alors d’une motivation familiale, parfois locale, ou par le fait d’une influence d’un collègue.
La deuxième remarque que nous pouvons faire, est que nous faisons face, depuis février de l’année dernière (moment de notre réouverture rue Geoffroy-l’Aisnier), à un afflux de demandes qui est considérable, avec des tendances lourdes qui s’accentuent. Tout d’abord, la montée regrettable d’une attitude consommatrice. Parfois la demande faite par les enseignants reste au départ très indéterminée : on cherche une illustration pour le cours, parfois même il s’agit d’une initiative « coup de tête », sans que cette démarche ait été murie et réellement articulée à un cours. Il faut préciser qu’un certain nombre de visites s’inscrivent dans une sortie à Paris où on fait par exemple visiter aux élèves successivement l’Assemblée Nationale, le Sénat, puis, toujours dans l’horizon de ce « parcours citoyen », le Mémorial de la Shoah, pour l’accomplissement d’une sorte de « devoir de mémoire ».
L’autre tendance notable, précisément, est celle de l’accent mis sur la dimension mémorielle de la visite, au détriment parfois de la compréhension historique. De ce point de vue, les enseignants misent beaucoup sur la présence du témoin, d’autant que tout le monde sait que ceux-ci auront bientôt disparu. Une certaine urgence se fait sentir d’avoir fait l’expérience de la rencontre d’un témoin. Or il peut y avoir déception de ce point de vue. Les témoins se font rares, et il peut arriver qu’ils décommandent. La déception est alors à la hauteur de l’attente.

4/ Cette rencontre du témoin est donc centrale dans votre dispositif d’accueil des publics scolaires ?

Oui. Mais auparavant, un temps important est consacré à la réception des élèves et des enseignants (une heure trente) : un temps pendant lequel on les familiarise avec les lieux et qui permet aussi de rappeler les moments importants de l’histoire de la Shoah. Le témoin n’arrive qu’une fois cette préparation réalisée.

5/ Quelles observations et remarques vous inspirent ce premier moment ?

On peut noter tout d’abord que nous n’avons pour ainsi dire que de bonnes surprises de la part des élèves, même de la part des troisièmes,  et des classes de ZEP que l’on classe un peu vite « mauvais élèves ». Mais cela à une condition : qu’ils sachent où ils se trouvent, ce que signifie le lieu où on les a conduits, et qu’ils réalisent la chance qu’ils ont de participer à cette visite. Ici, l’enseignant et le travail mené en amont sont pour  beaucoup dans la réussite du projet. A partir de là, il est intéressant de noter que le lieu les impressionne : il facilite une concentration et un certain sérieux que les enseignants ne pourraient sans doute pas obtenir de la même manière dans leur classe et lycée habituels. On notera également que les professeurs sont très sensibles à l’image que leurs élèves vont donner et qu’ils sont parfois assez inquiets. Nous nous employons à les rassurer, et nous leur expliquons, par exemple, lorsqu’il est question des témoins, qu’aucune question n’est tabou pour nous. Notre habitude de ce genre d’opérations les rassure. Les élèves surprennent finalement par l’intérêt porté à la visite et leur attitude.

6/ Quelles observations vous inspirent le travail fait avec les témoins ?

Tout d’abord sur les témoins eux-mêmes. Il faut d’abord préciser que la plupart des déportés ne témoignent pas. Il ne s’agit là que d’une minorité. Sur près de trois mille déportés qui sont revenus, entre 200 et 500 maximum ont témoigné. Leur motivation : on trouve de leur part le sentiment d’avoir une utilité sociale, parfois de régler ainsi des questions personnelles avec un passé, un vécu, et puis ce besoin de transmettre une expérience perçue comme unique. A tout cela il faut ajouter aussi que ce besoin de transmettre est toujours relié au souvenir de ceux qui sont « restés », la plupart du temps des proches. « J’ai mal aux autres » nous a dit un jour un déporté. Dans beaucoup de cas, ils sont très sensibles à la montée de l’extrême-droite, plus encore lorsqu’ils font partie d’une association et tiennent un discours politique.
D’autre part, il ne faut jamais oublier que ce moment de témoignage reste pour eux une épreuve : certains ne dorment pas la veille et il arrive souvent que l’émotion les envahisse à un moment de leur intervention, souvent par le fait des questions et de ces liens étonnants qui peuvent se nouer avec tel ou tel enfant pendant le moment des questions qui leur sont adressées. De ce point de vue, il faut savoir que les enfants n’hésitent pas à poser toutes sortes de questions, souvent très directes, un peu comme le font toujours les plus jeunes avec les grands-parents.

7/ Et les enfants, donc, comment vivent-ils cette rencontre ?

Il s’agit pour eux d’un moment un peu unique, bien qu’il soit court. On souhaiterait que l’intervention initiale du témoin s’en tienne à dix minutes, mais bien évidemment, c’est impossible. Trente minutes est le plus fréquent. Mais l’essentiel est que les enfants soient sensibilisés à cette question. Ils viennent trouver ici ce qu’un cours ne peut pas donner. La volonté d’apprendre vient alors tellement mieux…
Ce qui mobilise vraiment les jeunes, c’est de penser qu’ils parlent à  une personne qui a été confrontée à un moment d’histoire très marquant du siècle passé. Ils voient son nom sur le mur du Mémorial. Ils ont la sensation d’entrer à leur tour dans l’histoire (« J’ai parlé à un déporté ! »). On sent que c’est important et impressionnant pour eux de voir un nom ainsi gravé sur le mur, inscrit sur l’écran, ou une photo qui atteste que cet homme à qui ils ont la chance de pouvoir s’a    dresser librement, a été témoin ou acteur de la grande histoire. Très souvent, c’est cette idée que l’on retrouve dans les lettres que l’on reçoit par la suite. D’autre part, ces personnes qui les introduisent à un morceau de la grande histoire sont pour eux comme des grands-parents, avec tout ce que cela implique de familiarité, de tendresse et de complicité. Ainsi, des liens se créent avec les témoins, qui peuvent aller très loin : certains témoins deviennent relais entre nous et certains lycées à partir de ces expériences. Et puis les enfants aiment bien « les preuves » concrètes d’un vécu, les détails (« Qu’est-ce que vous mangiez ? Vous pouvez nous montrer votre tatouage ? Est-ce qu’on pouvait se laver ? ») Et le témoin se prête facilement à ces demandes-là, dans le contexte d’un rapport de familiarité avec des enfants. De ce point de vue, reste pour eux très marquant la parole du témoin qui leur dit « J’avais votre âge », pour parler du passé.

8/ Et vous, en tant qu’organisateurs, quel est votre souci, quels sont vos objectifs prioritaires ?

Cela dépend un peu de la nature des publics que l’on accueille. Nous devons faire avec un retournement de tendance par rapport à ce qui était en jeu il y a quelques décennies. Tandis que l’on ne parlait auparavant que de Résistance et de déportation politique, s’agissant des événements de la deuxième guerre mondiale, le mot de déportation est aujourd’hui préférentiellement associé à  la Shoah et au sort enduré par les Juifs. Lorsque nous accueillons des classes de l’Ecole publique et laïque, nous les sensibilisons à la spécificité du génocide des juifs sans le dissocier du sort qu’ont connu toutes les autres catégories de déportés. Et quand on s’adresse à des classes des Ecoles juives on tient à resituer la Shoah dans le contexte plus large d’événements qui concernent toutes sortes de populations pendant la Deuxième guerre mondiale. Nous avons déjà travaillé à partir de témoignages croisés d’un déporté politique et d’un déporté juif, par exemple.

9/ D’autres remarques sur ce qui marche bien dans ce genre d’expériences ?


Oui ! Dans le travail préalable, le recours à des documents originaux est très efficace. Encore une fois ce sentiment d’approcher l’histoire vivante, et de se mettre dans les pas d’un historien…
De même, le fait de travailler sur l’histoire mais dans son lien avec le local. Souvent, les élèves sont très émus d’entendre un déporté qui habite comme eux le « 93 ». Ils relient tout d’un coup l’histoire qu’on leur apprend avec leur vie de tous les jours et se perçoivent eux-mêmes différemment.
Quoiqu’il en soit, cette approche de l’histoire à travers le mémorial suscite bien des satisfactions de la part des élèves et des enseignants. On terminera par un clin d’œil : ce compliment ambigu lancé par des étudiants de l’Université à leur professeure, à l’issue de leur visite : « Madame, c’était le meilleur cours de l’année » !…
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