Les mallettes pédagogiques du Mémorial de la Shoah
Iannis Roder est consultant pédagogique au Mémorial de la Shoah. Chargé de constituer des mallettes pédagogiques à l'adresse des enseignants de collège et de lycée, il explique le type d'enseignement qui est proposé et suggéré aux professeurs par ces mallettes. Entretien réalisé par Jean-françois Bossy (Philosophie)
Iannis Roder, vous êtes enseignant en Seine Saint-Denis, et consultant pédagogique au Mémorial de la Shoah (anciennement CDJC), depuis trois ans. Quel est votre rôle en tant que consultant ?
Il s’agit pour l’essentiel de créer du matériel pédagogique à destination des professeurs, des élèves et des documentalistes.
Pour l’heure, il existe une mallette pédagogique à l’adresse des classes de collège qui est prête, et la deuxième, à destination des élèves de lycée, qui est en voie d’achèvement. On espère rendre disponibles ces produits à partir de la rentrée 2006.
En quoi consiste cette mallette pédagogique ? Y a t-il un modèle duquel vous vous êtes inspirés ?
On pourrait tout aussi bien appeler ce genre de mallettes dossiers. Il existe effectivement des mallettes pédagogiques produites par le Centre Yed Layeled, le Musée des enfants juifs, en Israël, qui se consacre spécifiquement au sort des enfants dans la Shoah. Il s’agit d’une aide à la recherche documentaire des élèves qui veulent travailler sur l’itinéraire des enfants victimes de la Shoah.
Notre mallette s’adresse davantage à des enseignants, et leur donne un matériel « clefs en mains » pour faire un cours sur la Shoah. On part de l’idée que la grande majorité des enseignants n’a pas le temps de faire des recherches personnelles pour se constituer une base de travail un peu précise sur le sujet. On lui fournit une telle base. On s’efforce donc de fournir aux enseignants un matériel immédiatement utilisable et on l’adapte au programme scolaire.
Quel est le contenu thématique de cette mallette ?
Elle s’intitule « De l’exclusion à la destruction des Juifs d’Europe ». elle se subdivise en trois séquences.
1. De l’exclusion sociale à la violence physique
Une séquence consacrée à la politique de ségrégation et d’exclusion mise en place sous le IIIe Reich, ainsi qu’à l’antisémitisme et au racisme ordinaire de la société nazie.
2. De la violence physique à la destruction
Une séquence consacrée à la Shoah en Europe.
3. Une étude de cas : le convoi N° 38
Il s’agit de proposer une vue rapprochée de l’itinéraire d’une famille et d’un enfant partis de Drancy pour Auschwitz dans le convoi 38 du 28 septembre 1942.
Quel est le contenu matériel de cette mallette ?
Il s’agit globalement de proposer à l’enseignant la plus grande variété possible de supports et de documents : textes, gravures, photos, extraits sonores ou filmés.
Il s’agit d’autre part d’accompagner du mieux que l’on peut le travail des enseignants à partir de ces supports. Chaque document est présenté et commenté, bien-sûr, mais il s’articule à un exercice destiné aux élèves. Le livret élèves donne les documents bruts plus des questionnaires liés à ces documents. Le livret professeurs donne une présentation de ces documents et des mises au point.
En plus, on propose des séquences de travail préparées sur le modèle du Brevet des collèges : 3 ou 4 documents à commenter, un questionnaire et un sujet.
Comment le contenu de cette mallette s’articule t-il exactement aux programmes scolaires ?
On peut distinguer je crois ce qui relève du programme de 3e et ce qui relève du programme de 1ère.
La première séquence « De l’exclusion sociale à la violence physique » s’insère bien dans le cours sur le nazisme en 3e, dans le chapitre consacré à l’Europe et les années 30. Cela permet de travailler sur l’idéologie antisémite nazie. En 1ère, cela correspond au chapitre sur « les totalitarismes ».
La deuxième séquence « De la violence physique à la destruction » s’insère en 3e dans le chapitre consacré à l’exploitation nazie de l’Europe. En première, il s’agit du chapitre consacré à la deuxième guerre mondiale et au génocide.
La troisième séquence (le convoi 38) s’insère, en 3e, dans le chapitre consacré au régime de vichy et )à la politique de collaboration. En 1ère il s’agit du chapitre consacré à la France pendant la guerre.
Quels sont les grands objectifs de cette mallette concernant un enseignement de la Shoah ?
Du point de vue pédagogique : proposer un parcours balisé sur le thème, et une base de travail et d’évaluation de ce travail des élèves (exercices).
Du point de vue thématique : nous voulons insister sur le fait que le génocide s’inscrit dans un processus graduel qui a ses étapes et se déploie selon un crescendo continu de violence. C’est la seule manière de pouvoir dégager un certain nombre d’enjeux politiques et éthiques pour nos élèves, de leur montrer par exemple où mènent les politiques de ségrégation raciale, les logiques de séparation entre des populations déclarées « indésirables » et les autres etc.
Quelles sont à votre avis les faiblesses les plus avérées dans les pratiques actuelles des enseignants sur la Shoah ?
Précisément de présenter la Shoah sous forme d’un arrêt sur image : Déportation-Auschwitz. On présente une sorte de photographie de la Shoah en 42-43, au moment où les convois partent de tous les coins de l’Europe, et on propose un témoignage à l’appui. On plonge les élèves d’entrée de jeu dans l’horreur des camps et de l’extermination. Peu de choses sur la politique ségrégative du nazisme, sur les ghettos, sur les opérations de tuerie des Einzatsgruppen, à l’est, par lesquelles le génocide a démarré, fin 1941. On perd en intelligibilité ce que l’on croit gagner en effet-choc. L’enseignement de la Shoah reste marqué par cette volonté d’impressionner, voire de bouleverser son public.
Au-delà de cet effort pour appréhender la Shoah sous la forme d’un processus, que proposez-vous d’essentiel pour faire du cours sur la Shoah une expérience réussie ?
Je crois qu’au lieu de chercher le spectaculaire et l’effet choc, il faut au contraire se donner les moyens d’amener les élèves à un travail patient de reconstitution de cette réalité sociale et politique qui progressivement a amené à la catastrophe. Et pour ce faire, le plus probant me semble t-il, est de leur montrer un itinéraire singulier, celui d’un individu (un enfant, comme eux, par exemple), ou d’une famille, et de les amener à s’identifier à des destins individuels pour appréhender les épreuves endurées et leur signification concrète, vues à partir de ceux qui eurent à les subir dans leur chair.
C’est très exactement ce que nous avons tenté de faire avec la séquence N°3 de notre mallette pédagogique sur le convoi N° 38. Il s’agissait pour nous de restituer une réalité dans son détail, et de donner une présence sensible aux hommes, femmes et enfants qui ont été embarqués et emportés par ces épreuves.
On part du procès-verbal de ce convoi 38 qui en est le point de départ bureaucratique. On a ici un luxe de détails et de précisions en tout genre : ce procès verbal fut envoyé simultanément à quatre bureaux, il donne une indication précise sur l’heure du convoi (8h55), son point de départ (Le Bourget), le nombre de juifs prévus dans le convoi, et la destination exacte (Auschwitz).
Puis, sachant que les juifs de ce convoi venaient tous de Drancy, on procède à une vue rapprochée d’un des bâtiments de Drancy (l’un de ses « escaliers »). On explique comment les détenus de cet escalier venaient tous d’une même rue de Paris (la rue des Deux Ponts). Cela nous donne l’occasion d’indiquer la situation civile et sociale de ces hommes, femmes et enfants : la grande diversité de leurs origines et nationalités (Algérie, Pologne, France etc.), leur condition très modeste et populaire.
Ensuite, on extrait de ce groupe une famille de 8 personnes : la famille Adoner (deux adultes et 6 enfants de 5 à 22 ans). On a leurs photos et des fiches individuelles établies à Drancy. Puis on se centre sur le seul survivant de cette famille : Samuel, dit Milo, 17 ans en 1942, lorsqu’il est arrêté. Aujourd’hui, il est âgé de 82 ans. On a un témoignage filmé de lui au Mémorial, et un autre dans la mallette.
Cette séquence de travail est à mon sens décisive pour faire entrer nos élèves dans un processus réel de compréhension : l’identification en est le moteur principal de même que la reconstitution jusque dans le détail d’une réalité. On évite les grandes abstractions et les formules éculées pour entrer plus modestement dans une reconstitution plus patiente mais tellement plus efficace.
A quelle date ces mallettes pédagogiques seront-elles disponibles ?
Celle qui concerne le collège est déjà prête. On espère pouvoir la sortir à la rentrée 2006, et la deuxième devrait suivre assez rapidement.