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Mémoires et résistances en lycée (Mantes)

Par Nathalie Coste Trindinh, professeur d'histoire-géographie. Au lycée Saint-Exupéry, de Mantes-La-Jolie, près du quartier du Val-Fourré, un travail de mémoire destiné à faire émerger la problématique des résistances et des engagements. Année 2003-2004



Genèse du projet et présentation générale de l'établissement

Le lycée Saint-Exupéry est situé à Mantes-la-Jolie, à proximité immédiate du quartier du Val Fourré et accueille 1450 élèves environ, dont une grande partie est issue des collèges de la ZEP de Mantes et d'autre part, de provenance  péri-urbaine et du centre-ville.

Ce lycée a une histoire forte dans la ville, reposant sur une grande tradition de tolérance et d'ouverture, et dont une proportion non négligeable de l'équipe éducative a été élève dans l'établissement. C'est un pôle essentiel de la vie de la Cité, reconnu comme un acteur important de l'intégration sociale et vecteur de vie culturelle.

Le lycée offre, en effet, de nombreuses options variées (Arts-Plastiques, Cinéma-audio, visuel, théâtre, plusieurs Langues vivantes (anglais, allemand, espagnol, russe, portugais, arabe) pour des sections générales (L/ES/S) mais aussi STT. Le lycée a la grande chance de pouvoir proposer des classes préparatoires aux grandes écoles (MPSI, Lettres supérieures (hypokhâgne et khâgne), Economique et commerciale) ainsi que des BTS assistant de direction et comptable.

La grande diversité des profils scolaires et sociologiques de nos élèves, en fait un lieu de mixité sociale réussie.

C'est à l'occasion des semaines institutionnelles «d'éducation contre le racisme » qu'une équipe d'enseignants, de CPE et de documentalistes a eu envie, voilà plusieurs années déjà, d'en faire un temps fort de la vie du lycée. Cette initiative souhaitait combiner un engagement dans des valeurs fortes de tolérance à un effort approfondi de production culturelle, intellectuelle et scientifique conçu pour, avec et même parfois, par les élèves. La première manifestation d'envergure en 2000 était centrée sur l'Amérique Latine, après le passage de l'ouragan au Nicaragua fin 1999. Elle avait été le point de départ d'un partenariat avec le Secours Populaire Français et de fortes solidarités avec des organisations Latino-américaines. Par la suite la semaine fut non seulement celle de l'éducation contre le racisme mais aussi pour l'amitié entre les peuples.

C'est également lors de cette première semaine que nous avions reçu Lucie Aubrac.

Aussi le lycée s'est-il habitué depuis à organiser des semaines d'importantes rencontres à cette occasion .


Les attentes des équipes engagées dans le projet


L'année précédente, les enseignants impliqués dans le projet (principalement Histoire-Géographie, lettres et arts, et langues vivantes), ont choisi de fédérer différentes actions autour du thème « Mémoires et Résistances ». Il s'agissait tout à la fois d'honorer un  travail de commémoration des périodes difficiles de notre histoire européenne : Seconde Guerre mondiale, Shoah, lutte contre les fascismes, mais aussi la douleur des guerres coloniales ; et de faire émerger les valeurs de l'engagement, des résistances.

L'objectif partagé par la communauté scolaire (professeurs d'histoire mais plus largement des équipes éducatives) était de rendre lisible aux élèves, au-delà des témoignages vécus, les substrats idéologiques de toutes les intolérances, ainsi que les réalités historiques des actes de résistance.

Partant de là, le choix a été fait de varier les supports des initiatives et les échelles d'appréhension par les élèves de différents niveaux (Seconde, première, terminales, classes préparatoires) et de solliciter toutes les formes d'interventions : conférences d'universitaires faisant autorité, exposés d'élèves, représentations théâtrales, cinéma, expositions photos, prestations musicales, échanges gastronomiques.

La totalité de la programmation est concentrée sur une semaine, dans des lieux bien identifiés des mantais : le lycée lui-même, la salle de cinéma-théatre municipale du « Chaplin » au cœur du quartier du Val Fourré, et à l'Agora, salle de rencontre et de débats de la ville.


L'organisation du projet

Les CPE se sont particulièrement chargés de la logistique et des interfaces avec les services municipaux, afin de garantir une bonne qualité d'accueil aux intervenants et aux élèves. Ils ont en outre mis sur pied des plannings d'inscription auprès des collègues du lycée ainsi que des dispositifs scrupuleux de contrôle des présences et des déplacements encadrés des élèves. Il était entendu au préalable que les classes participant à des initiatives, devaient avoir préparé avec leur(s) enseignant(s) l'objet de la rencontre.

Au total, 554 élèves sur les 1450 inscrits au lycée ont participé à au moins l'une des manifestations organisées. 6 classes de seconde sur 16, 7 classes de 1ère, 5 classes de terminale, 4 classes de CPGE.

Les difficultés essentielles dans la conduite de cette semaine ont été précisément de toucher le plus d'élèves possible, et de dépasser des contingences scolaires et des motivations variables selon les équipes pédagogiques. Il faut signaler ici que l'administration du lycée a facilité au maximum l'organisation pratique du projet tout en maintenant un contrôle essentiel de la vie scolaire.

Par ailleurs, le coût de certaines manifestations de qualité risquait au départ de grever le budget du Foyer Socio-éducatif qui ne souhaitait pas dépasser un certain degré de prise en charge, mais a finalement été très largement maîtrisé grâce à un certain nombre de collaborations. Le lycée a en effet, à cette occasion, développé des partenariats fructueux avec des associations enracinées dans la vie civique locale. Ceux-ci ont consisté en des aides au financement de certaines initiatives mais aussi en la diffusion des informations et en la mise en relation avec certains intervenants. On peut à ce titre mentionner le soutien :

  • du cinéma municipal le Chaplin, qui a rendu l'accès gratuit aux installations
  • le Musée national de la résistance, qui a organisé une rencontre entre son directeur et nos élèves et en offrant au lycée des fac-similés de lettres de fusillés.
  • Online Production, qui à prêté gratuitement le film de P. Convert « Mont Valérien : mémoires de fusillés »
  • La Ligue des Droits de l'homme et les « amis de la Réserve », qui ont organisé, conjointement au lycée, une seconde représentation de la pièce de théâtre « les oranges », en soirée, permettant alors au FSE du lycée de financer une entreprise coûteuse.
  • Le Conseil régional d'île de France, dont la subvention a permis de couvrir la totalité des dépenses et de présenter au final, un bilan financier équilibré.
  • L'Agorettta, une association de quartier qui a organisé les contacts avec Stéphane Le gall, metteur en scène du film « Au bled », pris en charge l'exposition de Said Bahij et Marlène Maubussin « la cité du raide chaussée » et l'intervention des musiciens de l'atelier percussions.

En outre, la grande majorité des interventions ont été réalisées gracieusement et l'équipe enseignante engagée dans cette semaine n'a pas compté ses heures de travail et effectué plusieurs déplacements pour aller chercher, accueillir et raccompagner les invités.

Les documentalistes ont mis le CDI à la disposition des expositions d'élèves et se sont chargées de la mise en place des panneaux ainsi que de l'accueil de la Compagnie théâtrale.

Il va de soi qu'une telle semaine suppose une grosse charge de travail, bien en amont du déroulement lui-même assez lourd, qui ne peut être assumée que par des personnels très motivés et convaincus.

Signalons aussi que l'organisation technique de la semaine, prise en charge par les CPE et la vie scolaire, a été techniquement parfaite et qu'aucun incident ou flottement n'a été à regretter. L'information quotidienne et individualisée aux collègues participants, le pointage et l'encadrement strict des élèves attendus aux différentes initiatives, ont permis un déroulement serein et conforme aux impératifs scolaires, confirmant la confiance essentielle de tous en cette opération.


Le déroulement du projet


les attentes pédagogiques et civiques

L'équipe organisatrice a veillé tout particulièrement à inscrire son travail longtemps à l'avance, dans une dynamique pédagogique solide. Aussi, la plupart des initiatives se proposaient d'être l'aboutissement d'un travail d'une classe, souvent mené en interdisciplinarité et de déboucher sur une production des élèves, sous des formes diverses (production littéraire, création plastique, conférence d'élèves devant d'autres élèves).

Plus globalement, l'initiative cherche à créer les conditions du « vivre ensemble » en développant, sur le long terme, dans le lycée et dans la Cité, le goût et les conditions d'un débat intellectuellement rigoureux, ouvert et franc, déracinant autant que nécessaire, les non-dits et fantasmes pour promouvoir des valeurs de fraternité et de tolérance.

La réalisation du projet

L'étude des mémoires que nous avons voulu plurielle, faisant écho à la diversité des résistances nous a conduit à rechercher à ce que des interventions très différentes se succèdent.

Le planning définitif a donc été le suivant :

Lundi 8 mars au matin : Exposition photo au Chaplin : « les femmes en prison », suivie d'une rencontre avec Gabriel Bauret, commissaire d'exposition ( public inscrit : une classe de Seconde)


Lundi après-midi : à l'Agora rencontre-débat avec Benjamin Stora, historien, spécialiste de l'histoire du Maghreb à l'INALCO, sur le thème « histoire des mémoires de la guerre d'Algérie » et François Della-Sudda, membre du bureau national de la LDH ancien professeur du lycée. (3 classes de Terminale et deux CPGE (public inscrit : Prépa éco et lettres sup)


Mardi 9 mars au matin : au lycée, exposé d'élèves de Terminale ES et Prépa Lettres Sup sur « le choc des cultures selon Huntington : mythe ou réalité » ? (public inscrit : deux terminales et une seconde)


Mardi après-midi : Théâtre le Chaplin : « Les Oranges », , mis en scène de Francis Azéma, de la Cie du théatre du Pavé de Toulouse. Cette pièce, interprétée par Hocine Boudjemaa, d'après le texte d'Aziz Chouaki retrace un siècle d'histoire de l'Algérie. Après la représentation, une rencontre/débat avec le comédien a été organisée. (5 classes de 2de et une 1ère spécialité théâtre).


Mercredi 10 mars au matin : rencontre au lycée avec les jeunes acteurs de la Compagnie Tamerantong, interprètes de la pièce de théâtre « Zorro el Zapato », picaresque épopée de la résistance des indiens du Chiapas.

En parallèle :

* Projection à, l'Agora du film « Au bled » de S Legall, qui raconte l'expérience de parents maliens qui renvoient au pays leurs enfants pour les protéger de la délinquance et leur redonner la mémoire de leur culture. Débat avec le réalisateur et une classe de 1ère STT.

Jeudi 11 mars au matin : 160 élèves de tous les niveaux assistent à la projection au Chaplin du film « Mont Valérien, mémoire des fusillés » de P. Convert, en compagnie de Guy Krivopissko, directeur du Musée National de la Résistance et Charles Sylvestre, journaliste. Un échange a suivi le film sur le thème « résistance au fascisme en Europe ».


Jeudi après-midi : rencontre avec JP Ribes, président du Comité de soutien au peuple tibétain, au Chaplin : « la résistance tibétaine ou comment ne pas recourir à la violence ? », avec la participation du musicien tibétain Tschéring Wangdu qui a proposé une séance d'initiation aux différents instruments et au chant tibétain, « mémoire et outil de résistance ». (public inscrit : 2 classes de seconde et une classe de terminale).


Vendredi 12 mars au matin : projection au Chaplin du film « l'Enclos » d'A. Gatti et échange avec notre amie Ida Grinspan, auteure du livre «J'ai pas pleuré », déportée à Auschwitz à l'âge de 13 ans. Ida nous avait déjà rendu visite au mois d'octobre, son sourire et son énergie avaient bouleversé les 4 classes de terminale présentes.  3 élèves lui avaient d'ailleurs composé une chanson, enregistrée sur disque. Ida a souhaité déjeuner avec ces élèves et aimerait faire diffuser leur disque.


Vendredi après-midi : projection au Chaplin de « L'espoir pour mémoire : chronique des anciens brigadistes de la guerre d'Espagne » avec le réalisateur Jorge Amat et Lise London, ancienne brigadiste.

En parallèle : prestation musicale avec le violoniste François Lefevre : récital de musique tzigane avec commentaire et explication du musicien, puis présentation de l'atelier de percussion Sukumba.

Par ailleurs, toute la semaine des expositions ont été présentées aux élèves :

  • A L'Agora : « La cité du raide chaussée au XXIème siècle » de Saïd Bahij et Marlène Maubussin. Il s'agit d'un travail de photographies et de textes qui retrace l'histoire de l'habitat social mantais et de la mémoire de ses habitants, depuis le passé colonial en passant par l'immigration ouvrière puis familiale. Cette exposition particulièrement appréciée par la classe de terminale Arts Plastiques est marquée par une poésie de la souffrance de l'exil et l'intimité de ces lieux de mémoire urbaine.
  • Au lycée (CDI et salle de restauration) : Exposition faite par les élèves du lycée en Arts plastiques ou travail d' écriture sur le thème « déclinez mémoire(s) et résistance(s) en jouant sur le singulier et le pluriel des mots ». A côté des « lettres de fusillés » étaient affichés les écrits de nos élèves qui semblaient faire écho, avec émotion, à ceux que leur engagement avait conduit à la mort mais aussi à orienter le cours de notre histoire.

Enfin, la semaine a été l'occasion de moments de convivialité lors de trois rencontre gastronomiques :

  • A l'occasion de l'arrivée de la Cie de théâtre du pavé, spécialement venue de Toulouse
  • Lors d'un échange de spécialités avec les jeunes comédiens de la Compagnie Tamerantong, avec les élèves et leurs plats favoris
  • Pour le repas de clôture de la semaine autour d'un buffet latino-américain.


Bilan et prolongements du projet


Nous ne saurions taire ici les retours particulièrement positifs de ces initiatives dans ses prolongements pédagogiques dans nos classes, mais au-delà, du point de vue de la qualité des échanges engagés avec nos élèves. Il est vrai que de nombreux présupposés, fortement relayés par les médias ont pu présenter un lycée de banlieue défavorisée comme le nôtre, comme un terreau potentiel à un regain de l'antisémitisme, du fanatisme et de toutes les intolérances.

Pour ces raisons, il est apparu indispensable à certains d'entre nous de faire la clarté sur ces questions, avec courage et sérieux, sans faire preuve d'angélisme coupable sur ces problèmes mais sans accréditation a-priori d'identités préconstruites de nos élèves de « banlieue ».

Nous sommes convaincus qu'on ne peut combattre des récurrences d'antisémitisme ou tout autre manifestation de rejet de l'autre que par la confrontation des expériences et des arguments, que par la rencontre et l'incarnation humaine des réalités historiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, lors de la précédente « semaine d'éducation contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples », nous avions choisi de travailler sur un cycle de conférences et d'échanges sur le conflit israélo-palestinien. A cette occasion, et selon les mêmes principes, nous avions fait réfléchir nos élèves sur les conditions historiques du conflit, sur le sionisme (par un exposé d'élèves) et avions fait venir à eux différents intervenants, en privilégiant l'étude du rôle des femmes dans le mouvement pour la paix au proche-orient. Ainsi, des israéliennes et des palestiniennes étaient venues, ensemble, présenter les conditions et la complexité du conflit. Des femmes en noir, Camélia Ziegler, Ranwa Stephan, Suheir Azzouni, mais aussi Jeanne Champion (écrivaine),  Simone Bitton (réalisatrice de films sur Israël) et Dominique Vidal (rédacteur en chef du Monde diplomatique, spécialiste du moyen-orient), avaient plaidé, d'une même voix pour le respect mutuel et dénoncer les extrémismes de tous bords.

Dans ces conditions, les échanges avec nos élèves ont été reconnus par tous, d'une grande sincérité et d'une grande qualité, et les retombées de ces rencontres ont été essentielles à la compréhension nuancée de ce conflit brûlant.

Forts de ces expériences sur ces dernières années, et en plus de la réalisation de vidéos de certaines conférences, de l'édition de brochures des productions d'élèves, le lycée a décidé de poursuivre pour l'année 2005, une réflexion sur le thème «déportation  et résistances». Dans cette perspective et grâce aux chaleureux contacts noués avec Ida Grinspan,  l'un des moments forts de ce projet sera le voyage à Auschwitz pour les élèves de la 1ère option théâtre et cinéma. 18 élèves bénéficieront d'un financement du voyage, par le Conseil régional d'Ile de France qui interviendra le 1er décembre 2004.

Cette action marquera le point de départ pour un travail croisé entre des professeurs de lettres, histoire, cinéma  et théâtre et à une mutualisation des observations des élèves participants avec le reste de l'établissement.

Gageons que l'enthousiasme et l'intérêt de nos lycéens nous poussera encore longtemps à multiplier les occasions de leur proposer ces initiatives dont ils se sont montrés si dignes.




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