Le choix de l'histoire.
Pierre Vidal-Naquet, Le choix de l'histoire, Ed. arléa, 2004. Un recueil de quatre articles, destinés à montrer la vanité de la pensée sans l'action, dans un XXe siècle marqué par le "retour" de la barbarie. Par Jean-François Forges (Histoire-Géographie)
C'est la réunion même de quatre articles parus dans des revues qui fait l'originalité du livre de Pierre Vidal-Naquet Le choix de l'histoire et lui donne son sens.
La beauté de la présentation du livre est un premier élément de ce sens. C'est un petit livre blanc dont la couverture reproduit la Sibylle de Delphes, la plus sublime image, aux couleurs vives restituées, de la grâce et de la sagesse du monde grec, sur la voûte de la Chapelle Sixtine. La quatrième page de la couverture définit la posture de combat pour la recherche de la vérité et de la justice, dans un monde hostile et confus, mais adossé aux grands chefs-d'œuvre qui nous tirent hors de la barbarie originelle. En cadeau de l'éditeur, dans le livre, un signet à la même image porte la pensée fondamentale écrite page 59 du livre « une chose est de penser, une autre est d'agir ».
Ce n'est pas un livre hostile aux philosophes et aux théoriciens. Mais c'est un livre qui montre la vanité et l'inefficacité de la pensée sans l'action. La lecture de ce livre est nécessaire à tous ceux qui seraient saisis par le découragement devant la disproportion entre une action personnelle, isolée et chétive et le projet grandiose de changer le monde. Au temps de la jeunesse de Pierre Vidal-Naquet, certains voulaient contraindre le monde au changement par la violence et par le terrorisme. Il y en a encore. Rosa Luxemburg, dès les premiers grondements de la Révolution en Russie, avait pourtant condamné sans appel, avec une extraordinaire clairvoyance mais en vain, ceux qui voulaient imposer aux autres par la force leur manière de voir le bonheur du monde.
Pierre Vidal-Naquet ne transige pas sur les valeurs. C'est cette croyance en des valeurs qui fait vivre indigné et qui alimente l'énergie de l'action, « la machine personnelle » qui ne cesse de fonctionner (page 62). La torture est une absolue horreur. L'idée que des policiers ou des militaires français aient pu employer les mêmes méthodes que la Gestapo des nazis aurait dû être à tous radicalement insupportable au nom de l'humanité et au moins du patriotisme (page 59). Le discours d'André Malraux pour le transfert du corps de Jean Moulin au Panthéon évoque les tortures qu'il a subies. Mais Malraux n'en tire pas une condamnation explicite de la torture et cela est insupportable (page 108). Et dans cette logique, le comité Audin a la cohérence morale de condamner la torture quand les membres de l'OAS ou quand les Harkis en sont victimes (pages 71-72).
Pierre Vidal-Naquet ne transige pas avec la vérité. A commencer par la vérité historique. Est-ce que l'on peut ne pas transiger avec l'histoire officielle ? Vidal-Naquet montre que déjà Platon pouvait refabriquer l'histoire selon ses goûts (page 24). Est-ce que l'on peut faire de la vérité son seul objectif, quoi qu'il en coûte ?